L'octroi de mer : qui paie, qui collecte et comment calculer?
- Sophie Hugues
- 3 minutes de lecture
L’octroi de mer, cette taxe spécifique aux départements et régions d’outre-mer français, reste souvent mystérieuse pour ceux qui expédient des colis vers ces territoires. Héritée de l’époque coloniale, cette taxe constitue aujourd’hui un élément fondamental de la fiscalité ultramarine et impacte directement le portefeuille des expéditeurs comme des destinataires. Si vous avez déjà eu la surprise de devoir payer des frais supplémentaires pour un colis expédié vers la Martinique ou la Réunion, vous avez probablement fait connaissance avec cette taxe particulière, sans forcément comprendre son fonctionnement.
Dans cet article, nous allons décortiquer ensemble les rouages de l’octroi de mer, identifier qui doit s’en acquitter, et surtout comprendre comment cette taxe est collectée et redistribuée. Particulier ou professionnel, cette lecture vous permettra d’anticiper les coûts réels de vos envois vers les DOM-TOM.

L'octroi de mer : principes fondamentaux et cadre légal
Historique et évolution de l'octroi de mer
Pour bien comprendre l’octroi de mer, un petit voyage dans le temps s’impose. Cette taxe n’est pas née hier ! Elle trouve ses racines au XVIIe siècle, époque où la Couronne française instaurait déjà des droits de douane sur les marchandises entrant dans les colonies. Le terme « octroi » vient d’ailleurs du verbe « octroyer », car il s’agissait à l’origine d’une concession accordée par le roi aux villes pour percevoir des taxes.
Au fil des siècles, cette taxe a évolué, mais elle a toujours conservé sa fonction essentielle : protéger les productions locales et financer les collectivités territoriales. En 1992, face aux pressions européennes qui y voyaient une entrave à la libre circulation des marchandises, l’octroi de mer a connu une première réforme majeure.
La législation actuelle repose principalement sur la loi du 2 juillet 2004, plusieurs fois modifiée depuis. Cette loi a notamment étendu la taxe aux productions locales (au-delà d’un certain seuil), tout en prévoyant des différentiels de taxation favorables aux produits locaux. Le dernier renouvellement du régime date de 2021, prolongeant le dispositif jusqu’en 2027 après de longues négociations avec Bruxelles.
Territoires concernés par l'octroi de mer
L’octroi de mer ne s’applique pas à l’ensemble des territoires d’outre-mer français. 🌴 Cette taxe concerne uniquement les cinq départements et régions d’outre-mer (DROM) :
- La Guadeloupe (y compris les îles de Marie-Galante, La Désirade, etc.)
- La Martinique
- La Guyane
- La Réunion
- Mayotte (où le régime présente quelques spécificités)
Il faut noter que Saint-Martin et Saint-Barthélemy, bien qu’ayant été rattachées administrativement à la Guadeloupe jusqu’en 2007, ne sont plus soumises à l’octroi de mer depuis leur changement de statut. Ces collectivités disposent désormais de leur propre fiscalité.
D’ailleurs, les autres territoires français du Pacifique comme la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, ou encore les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ne sont pas concernés par l’octroi de mer. Ces territoires, qui jouissent d’une autonomie fiscale plus large, ont développé leurs propres systèmes de taxation des importations – parfois tout aussi complexes, mais fonctionnant selon des règles différentes.
Base juridique et taux applicables
Quand on parle d’octroi de mer, il faut distinguer deux composantes qui se cumulent : l’octroi de mer à proprement parler et l’octroi de mer régional. Cette distinction, bien que technique, est importante pour comprendre la facture finale qui vous attend lors de vos envois vers les DOM.
Les taux varient considérablement d’un territoire à l’autre, et même d’un produit à l’autre. En Martinique, par exemple, certains produits de première nécessité sont taxés à seulement 0,5%, tandis que des produits considérés comme « de luxe » ou nocifs peuvent atteindre des taux combinés de plus de 50% ! C’est le cas notamment pour les alcools ou le tabac.
Pour déterminer précisément le taux applicable à votre envoi, tout se joue dans la classification douanière. Chaque produit possède son code tarifaire basé sur la nomenclature combinée européenne.
Les redevables de l'octroi de mer
Les importateurs : principaux contributeurs
Dans le système de l’octroi de mer, les importateurs sont en première ligne. Est considérée comme « importation » toute entrée de marchandises provenant de métropole, d’Europe ou du reste du monde vers l’un des DROM. Il semble que beaucoup d’expéditeurs métropolitains oublient souvent ce détail : même un envoi depuis Paris vers Fort-de-France constitue une importation au sens de l’octroi de mer !
Les obligations déclaratives des importateurs sont relativement lourdes. Pour chaque envoi, ils doivent :
- Établir une déclaration en douane (document DAU)
- Identifier correctement la nature des marchandises et leurs codes
- Fournir les justificatifs de valeur
Le paiement intervient généralement au moment du dédouanement, avant que la marchandise ne soit libérée. Par ailleurs, certains importateurs réguliers peuvent bénéficier de procédures simplifiées, notamment via des crédits d’enlèvement qui permettent de différer le paiement.
Les producteurs locaux et l'octroi de mer
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’octroi de mer ne concerne pas uniquement les marchandises importées. Depuis la réforme de 2004, les producteurs locaux y sont également assujettis – mais avec des nuances importantes.
En réalité, seules les entreprises locales dont le chiffre d’affaires dépasse 300 000 € annuels (550 000 € pour La Réunion) sont concernées. Cette franchise protège les petits producteurs et artisans locaux. Les entreprises dépassant ce seuil doivent déclarer périodiquement leur production et s’acquitter de la taxe.
La particularité du système réside dans les différentiels de taux : concrètement, les productions locales bénéficient généralement de taux réduits par rapport aux produits importés similaires. Cette différence peut atteindre jusqu’à 30 points de pourcentage et constitue un véritable bouclier pour l’économie locale.
Cas d'exonération et franchises
Heureusement, tous les envois ne sont pas systématiquement taxés. Les particuliers bénéficient d’une franchise pour les petits envois sans caractère commercial. Actuellement, cette franchise est fixée à 205 € pour les colis entre particuliers et 1 000 € pour les effets personnels des voyageurs.
Certaines marchandises sont également exonérées de plein droit :
- Les produits de première nécessité (selon des listes établies localement)
- Certains équipements destinés à l’éducation ou la santé
- Les matériels d’investissement pour les entreprises (sous conditions)
Ces exonérations peuvent être temporaires ou permanentes, et varient d’un territoire à l’autre. Elles font l’objet de délibérations des conseils régionaux, ce qui explique les différences de traitement entre la Martinique et la Guyane, par exemple.

Les collecteurs et bénéficiaires de l'octroi de mer
Qui collecte l'octroi de mer ?
La perception de l’octroi de mer repose sur deux administrations différentes selon l’origine des marchandises :
Pour les marchandises importées, c’est la Direction Générale des Douanes qui collecte la taxe au moment du dédouanement. Les agents vérifient la conformité des déclarations, contrôlent parfois physiquement les marchandises, et procèdent à la liquidation des droits et taxes.
En revanche, pour la production locale, ce sont les services fiscaux qui interviennent. Les entreprises concernées adressent leurs déclarations périodiques (généralement mensuelles ou trimestrielles) à la direction locale des finances publiques, qui assure le recouvrement.
Le contrôle du système repose sur des vérifications documentaires, des audits, et parfois des enquêtes spécifiques.
Répartition et utilisation des recettes
Une fois collecté, l’octroi de mer n’est pas versé à l’État central, mais redistribué localement. Les sommes récoltées alimentent principalement les budgets des communes ultramarines. Cette manne financière représente parfois jusqu’à 40% des recettes fiscales des municipalités dans certains territoires comme la Guyane !
La répartition entre communes suit des critères assez complexes qui varient selon les territoires. En général, on retrouve :
- Une part fixe attribuée selon des critères démographiques
- Une dotation de solidarité pour les communes les plus défavorisées
- Des quotités spécifiques pour certaines communes selon leur situation
En plus des communes, une fraction des recettes (généralement entre 1,5% et 5%) est allouée au Fonds Régional pour le Développement et l’Emploi (FRDE). Ce fonds finance des infrastructures et soutient l’emploi local.
Impact économique et social
L’octroi de mer joue un rôle économique ambivalent dans les territoires d’outre-mer. D’un côté, il permet de financer des services publics essentiels – écoles, crèches, équipements sportifs – dans des territoires où les besoins sont importants.
D’autre part, cette taxe protège les productions locales en renchérissant le prix des produits importés. Sans ce bouclier fiscal, de nombreuses entreprises ultramarines ne pourraient pas résister à la concurrence internationale, notamment des pays voisins aux coûts de production bien moindres.
Cependant, cette protection a un revers : elle contribue au fameux « coût de la vie » plus élevé dans les DOM. La question divise d’ailleurs souvent l’opinion publique locale. Lors des mouvements sociaux de 2009 aux Antilles contre la « pwofitasyon » (exploitation), l’octroi de mer était déjà pointé du doigt par certains comme facteur de cherté.
Implications pratiques pour l'envoi de colis vers les DOM-TOM
Calcul préalable de l'octroi de mer
Pour éviter les mauvaises surprises, mieux vaut estimer à l’avance le montant de l’octroi de mer. Plusieurs outils en ligne permettent de faire des simulations, mais ils restent imparfaits car les taux changent régulièrement. Les sites officiels des régions ultramarines publient généralement les tarifs en vigueur.
Pour réaliser votre estimation, vous aurez besoin de :
- La valeur commerciale exacte de votre envoi (factures)
- Le code douanier des produits (nomenclature à 8 chiffres)
- Le coût du transport et de l’assurance (pour déterminer la valeur CAF)
À savoir : les douanes appliquent souvent une méthode simplifiée pour les petits envois, en prenant un taux moyen si vous n’avez pas précisément codifié vos produits. Mais attention, ce taux « par défaut » est rarement avantageux !
Procédures douanières et paiement
Pour les entreprises qui expédient régulièrement vers les DOM, faire appel à un transitaire ou commissionnaire en douane peut s’avérer judicieux. Ces professionnels connaissent parfaitement les arcanes de l’octroi de mer et peuvent optimiser vos déclarations.
Les documents indispensables comprennent :
- La facture commerciale détaillée
- La déclaration en douane (DAU)
- Éventuellement un certificat d’origine pour bénéficier d’exonérations
Concernant le paiement, plusieurs options existent : paiement au comptant lors du dédouanement, crédit d’enlèvement pour les professionnels réguliers, ou encore système de caution. Pour les particuliers destinataires, c’est souvent le transporteur qui avance les frais et se fait rembourser à la livraison – ce qui explique ces fameuses sommes demandées par le livreur !
Conseils pour optimiser ses envois
Bien préparer sa documentation : des factures claires et précises facilitent le dédouanement et évitent les estimations forfaitaires souvent défavorables.
Choisir un transporteur spécialisé : certains transporteurs connaissent parfaitement les spécificités des DOM-TOM et peuvent vous guider efficacement.
Fractionner judicieusement : parfois, diviser un gros envoi en plusieurs petits permet de bénéficier des franchises. Mais attention, les douanes ne sont pas dupes si les envois sont trop rapprochés !
À retenir :
L’octroi de mer reste un dispositif fiscal complexe mais incontournable pour quiconque envoie des marchandises vers les départements d’outre-mer. Cette taxe, à la fois source de financement essentielle pour les collectivités locales et outil de protection économique, a su traverser les siècles en s’adaptant.
Pour l’expéditeur averti, anticiper cette taxation permet d’éviter bien des déconvenues. N’hésitez pas à vous rapprocher des chambres de commerce ultramarines ou des services douaniers qui proposent souvent des permanences d’information sur ce sujet.
L’avenir de l’octroi de mer fait régulièrement débat, entre défenseurs de cette ressource locale et partisans d’une fiscalité plus harmonisée avec la métropole. Mais une chose est sûre : ce mécanisme fiscal si particulier n’est pas près de disparaître, tant son importance économique est cruciale pour les territoires concernés.
Pour approfondir vos connaissances sur le sujet, les sites des directions régionales des douanes ou les portails économiques des régions d’outre-mer constituent d’excellentes ressources, régulièrement mises à jour en fonction des évolutions législatives. Pour ne pas vous tromper dans vos formalités, découvrez comment remplir correctement votre déclaration douanière DOM-TOM.